Épisode 15 - Catherine Veillet-Michelet

7 Étapes pour Transformer son Organisation et Devenir Centré Client : Leçons de Bayard

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Dans un monde où le client a de plus en plus d’options et d’exigences, comment une entreprise centenaire a-t-elle fait évoluer sa culture pour placer réellement le client au centre de ses préoccupations ? Marine Deck, experte relation client et expérience client, Conférencière, animatrice du podcast Le Client et Fondatrice de Cx Advisor, s’est entretenue avec Catherine Veillet Michelet, Directrice Expérience Client et Innovation du groupe Bayard, pour comprendre cette transformation culturelle profonde.

Le groupe Bayard : une entreprise pas comme les autres

Avant d’aborder les étapes de la transformation, il est essentiel de comprendre le contexte unique de Bayard. Fondé en 1873, ce groupe de presse et d’édition est connu pour ses titres emblématiques comme La Croix, Pèlerin, Pomme d’Api, J’aime lire, ou encore Notre Temps.

Ce qui distingue Bayard, c’est avant tout sa mission et sa vision à long terme : « Nos actionnaires ont l’éternité devant eux et ont fait vœu de pauvreté », explique Catherine Veillet Michelet. En effet, Bayard appartient à 100% à la congrégation religieuse des Assomptionnistes, ce qui lui confère une perspective particulière sur la rentabilité et la relation client.

« On travaille pour le fond, on travaille pour qu’un maximum de personnes bénéficient, profitent, aient accès à nos contenus, quel que soit le média, pour faire communauté, et on est sur la durée », résume Catherine Veillet Michelet.

Avec 6 millions de lecteurs chaque mois, des abonnés parfois fidèles depuis 40 ans, voire depuis 1923 pour le record, Bayard est véritablement « partie de la vie des gens ».

L’évolution culturelle : du lecteur au client

Ce qui rend le cas de Bayard particulièrement intéressant, c’est qu’historiquement, le mot « client » n’existait pas dans le vocabulaire de l’entreprise. « Il n’était même pas interdit, c’est qu’il n’était même pas concevable », raconte Catherine Veillet Michelet. L’entreprise parlait de « lecteurs » et d' »abonnés”, mettant l’accent sur la relation au contenu plutôt que sur la transaction commerciale.

Cette évolution culturelle s’est faite progressivement :

  • Dans les premières années, lors des réunions d’encadrement, les résultats étaient présentés en nombre de lecteurs, sans unité monétaire
  • Puis le chiffre d’affaires a commencé à être mentionné
  • Plus tard est apparue la notion de résultat
  • Et auJourd’hui, on parle même de résultat net et de résultat d’exploitation

Ce changement linguistique reflète une évolution plus profonde de la conception même de la relation avec le public de Bayard.

Étape 1 : Lancer un projet pionnier « Satisfaction Client » (1995)

En 1995, Catherine Veillet Michelet, alors chargée de l’informatisation de la chaîne d’abonnement, lance un projet baptisé “Satisfaction Client”. Une initiative qui fait hausser quelques sourcils : « Quand j’ai dit qu’on allait lancer ça, on m’a dit ‘Mais attends, un client ? Mais on n’a pas de client, nous ! On a des abonnés. Tu vas bientôt dire qu’on a aussi des produits !' »

Pour faire accepter cette approche, l’équipe a compris qu’il fallait impliquer les Journalistes, considérés comme le cœur de l’entreprise. « Si on a les journalistes avec nous, ça va embarquer toutes les personnes qu’il y a entre eux et nous. »

Ils ont alors organisé un concours de réponses aux lettres de clients, avec pour président du jury Bruno Frappat, alors rédacteur en chef de La Croix, qui venait d’arriver du Journal Le Monde.

Ce projet posait des bases qui restent d’actualité :

  • Dire la vérité
  • Développer la confiance
  • Reconnaître la personne
  • Tenir les promesses vis-à-vis du client
  • Répondre à ses demandes

Étape 2 : Reconnaître ses erreurs et les corriger proactivement

Une des révolutions culturelles introduites par ce projet concernait la reconnaissance des erreurs. « Quand on se trompe, on le dit, on prie d’accepter des excuses et on corrige ce qu’on peut corriger », insiste Catherine Veillet Michelet.

Cette approche, qui peut sembler évidente aujourd’hui, ne l’était pas à l’époque. Catherine Veillet Michelet se souvient d’une expérience professionnelle antérieure où des clients avaient été débités deux fois suite à une erreur informatique, et où la direction avait décidé de ne corriger que pour ceux qui réclamaient.

Cette culture de la transparence s’est progressivement installée chez Bayard, où l’on pratique désormais la proactivité : « On n’attend pas la réclamation, on est proactif. » Par exemple, si un camion de livraison des exemplaires de La Croix tombe dans un fossé, un email est immédiatement envoyé aux abonnés concernés pour les informer du problème et des solutions.

Étape 3 : Humaniser la relation même dans les détails

Une attention particulière est portée à l’humanisation des échanges, même dans les plus petits détails. « Quand vous recevez un réabonnement à Prions en Église, juste un chèque avec écrit ‘avec mes prières’, on fait un petit mot quand même. Ça veut dire qu’il y a quelqu’un qui a pensé à vous et qui vous a considéré comme une personne, donc il faut lui répondre comme à une personne. »

Cette humanisation a dû s’adapter à l’évolution des modes de communication. Si en 1995, les échanges étaient à 80% par courrier et 20% par téléphone, aujourd’hui les proportions sont inversées avec 70% de téléphone, 30% de mail et 1% via les réseaux sociaux.

Cette évolution s’accompagne d’un changement du rapport au temps : « Le rapport au temps a été vraiment complètement revu dans toutes nos activités. […] À l’époque, il y avait un mensuel, vous receviez un courrier, c’était une semaine, c’était 10 Jours. Là maintenant, vous avez toujours un mensuel, sauf que les gens vont vous écrire, ils sont à l’heure ou au Jour, ils sont plus à la semaine. »

Étape 4 : Créer une direction dédiée à l’expérience client (2018)

Malgré les avancées initiées en 1995, c’est seulement en 2018 que Bayard franchit une étape décisive avec la création d’une direction explicitement dédiée à l’expérience client, confiée à Catherine Veillet Michelet.

Ce changement organisationnel marque une véritable volonté stratégique de « mettre le client au cœur du groupe ». Pour Catherine Veillet Michelet, ce fut d’abord une surprise : « Je ne l’ai pas tout de suite cru. C’était ‘Est-ce que c’est vrai ou est-ce que c’est un prétexte ? Est-ce que c’est parce qu’il y a quelque chose dont vous voulez pas vous occuper et que vous voulez que j’aille m’en charger ? Ou est-ce que vraiment vous voulez le faire ?' »

En reprenant cette direction, Catherine Veillet Michelet découvre une organisation où les services clients avaient été rattachés à la Direction des Achats, symbolisant l’approche qui prévalait alors : « Le client avait été transformé en cordon bleu, il avait été coupé en petit morceau et réaggloméré. […] Toutes les tâches avaient été identifiées, décortiquées, décrites et renégociées avec des prestataires en prenant le moins cher pour tout. »

Étape 5 : Changer le paradigme pour voir le client dans sa globalité

La première mission de cette nouvelle direction a été de changer radicalement l’approche : « Vous allez faire tout exactement pareil, tout ce que vous faites comme traitement, c’est très bien, mais vous allez le penser complètement autrement. On pense plus traitement, on pense client. »

Concrètement, cela signifiait passer d’une vision fragmentée (où chaque tâche était isolée et confiée au prestataire le moins cher) à une vision globale centrée sur l’expérience du client.

Pour faire exister le client dans les esprits, des initiatives symboliques ont été mises en place :

  • Distribution de cartes postales avec des verbatims clients (positifs et négatifs) à l’entrée de Bayard
  • Formation interne sur l’expérience client, animée conJointement par la directrice expérience client et la médiatrice

Ces formations commencent toujours par un exercice où les participants racontent une expérience client mémorable qu’ils ont vécue personnellement, permettant de faire émerger les piliers de l’expérience client de manière concrète et incarnée.

Étape 6 : Gérer les situations difficiles par la médiation directe

La transformation passe aussi par une nouvelle approche des situations conflictuelles. Catherine Veillet Michelet raconte l’histoire d’Anne-Marie, une cliente mécontente dont le cas, mal géré initialement, avait fini entre les mains du service juridique qui avait recommandé de ne plus avoir de contact avec elle.

Lorsque la situation est remontée jusqu’à la médiatrice et la directrice expérience client, elles ont pris le contre-pied de cette approche défensive : « On ne peut pas laisser quelqu’un comme ça sans réponse du tout, parce qu’elle va rester en attente en permanence, en plus vraisemblablement à dire du mal de nous, et elle aura raison. »

Elles ont organisé une rencontre en personne, avec visite de l’entreprise et discussions approfondies avec les différents responsables concernés. Le résultat ? Anne-Marie est devenue une ambassadrice enthousiaste de Bayard : « Elle dit du bien de Bayard à 3000 personnes par an quand elle fait visiter sa petite chapelle. »

Cette expérience illustre parfaitement comment « on peut encore créer de belles choses sur la base d’événements négatifs » et comment, face à une situation envenimée, « il faut prendre son courage à deux mains et casser cette dynamique. »

Étape 7 : Faire face aux échecs et s’améliorer continuellement

La transformation n’est pas un long fleuve tranquille. Catherine Veillet Michelet raconte comment un changement de prestataire de gestion d’abonnement en 2019 a conduit à ce qui a semblé être une « catastrophe » à la rentrée suivante.

Face à cette situation, elle a adopté une démarche d’audit interne, se mettant dans la position d’un auditeur externe pour analyser objectivement les problèmes, puis dans celle de l’audité pour recevoir les recommandations et mettre en place un plan d’action.

Cette capacité à reconnaître les difficultés, à les analyser froidement et à en tirer des enseignements pour s’améliorer est un élément clé de la transformation. « Ça nous a permis de mettre tout à plat et d’objectiver tout, […] et ça a donné lieu à un plan d’action extrêmement ambitieux qu’on a principalement dû mettre en place pendant le confinement pour la rentrée suivante, qui s’est extrêmement bien passée. »

Les défis persistants de la transformation

Malgré tous ces efforts, des défis demeurent. Catherine Veillet Michelet raconte avec humour comment elle-même a récemment été confrontée à une défaillance du système : une carte d’anniversaire envoyée à son beau-père décédé plusieurs mois auparavant, alors que son décès avait été correctement signalé.

Cet exemple illustre que « malgré tous nos efforts, on est vraiment sur de la pâte humaine », et qu’il faut « accompagner, redire, et s’adapter situation après situation. »

Un autre défi majeur est la gestion des attentes clients dans un monde dominé par Amazon. Comment expliquer qu’un abonnement à un magazine mensuel ne peut pas être livré le lendemain de la commande ? « On n’est pas sur le même métier, nous on ne fait pas de la pizza », résume Catherine Veillet Michelet, tout en reconnaissant qu’il est légitime que les clients soient impatients et qu’il faut trouver des solutions comme les formats numériques pour y répondre.

Conclusion : une transformation culturelle qui porte ses fruits

Le parcours de Bayard montre que la transformation vers une organisation centrée client est avant tout une transformation culturelle profonde. Il ne s’agit pas simplement d’adopter des outils ou des processus, mais de changer fondamentalement la façon dont l’organisation perçoit et interagit avec ses clients.

Cette transformation prend du temps – dans le cas de Bayard, près de 25 ans entre les premières initiatives et la création d’une direction dédiée à l’expérience client. Elle nécessite un engagement au plus haut niveau, une remise en question permanente et une acceptation de l’erreur comme opportunité d’apprentissage.

Les résultats sont cependant au rendez-vous, avec une fidélité client exceptionnelle et une capacité à maintenir des relations durables avec les lecteurs, parfois sur plusieurs générations.

Comme le résume Catherine Veillet Michelet : « Il y a des choses qui ne changent pas, qui sont les principes. Ensuite, tous les outils changent, et c’est une bonne chose pour Jhouer sur l’espace et le temps. »

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