Épisode 61 - Sandrine Beltran
5 Leviers pour transformer votre Relation Client selon La Banque Postale
Dans un monde bancaire en pleine mutation où la fidélité des clients n’est plus acquise, comment une grande institution comme la Banque Postale a-t-elle réussi à transformer profondément sa relation client ? Sandrine Beltran, directrice de la relation client, nous dévoile les coulisses d’un projet ambitieux qui a permis à l’établissement de gagner 10 points de NPS en un an.
Marine Deck, conférencière en expérience client, animatrice du podcast Le Client et fondatrice de Cx Advisor, a reçu Sandrine Beltran pour décrypter cette transformation remarquable.
Un diagnostic sans concession : le point de départ de la transformation
Arrivée en plein confinement en avril 2020, Sandrine Beltran a rapidement dressé un état des lieux de la relation client à la Banque Postale. Sa mission était claire : rejoindre le podium de la relation client dans le secteur bancaire. Mais pour y parvenir, un diagnostic rigoureux s’imposait.
« Le secteur bancaire n’a pas toujours été exemplaire en matière de relation client. On a souvent considéré que nos clients étaient captifs », reconnaît Sandrine Beltran. « Mais aujourd’hui, les clients attendent le même niveau de qualité de service qu’ils peuvent avoir dans le e-commerce ou avec un voyagiste. »
Ce diagnostic a permis d’identifier trois niveaux de maturité dans la relation client :
- L’accessibilité : la capacité à décrocher les appels et à limiter l’attente des clients
- La personnalisation : l’aptitude à adapter la prise en charge selon le profil du client
- La gestion des émotions : la dimension la plus évoluée qui permet de surprendre positivement le client
La Banque Postale avait principalement des progrès à faire sur le premier niveau. « Nous avions un taux de décroché autour de 60%, ce qui nous mettait en difficulté dans notre relation client », explique Sandrine Beltran. Cette situation était particulièrement critique en début de mois, lors du versement des prestations sociales, générant jusqu’à 30% d’appels supplémentaires.
Une stratégie en trois temps pour une transformation profonde
Face à ce constat, l’équipe a construit un programme de transformation autour de trois temporalités :
- Des victoires rapides pour restaurer immédiatement l’accessibilité
- Des projets à moyen terme pour améliorer la personnalisation
- Des initiatives à long terme pour parfaire la gestion des émotions
Premier levier : Optimiser l’accessibilité par des actions immédiates
Trois mesures ont été rapidement mises en œuvre pour améliorer l’accessibilité :
1. La nationalisation des flux d’appels
« On a passé tous nos flux en national. Avant, si j’étais une cliente qui habite à Marseille et que j’appelais, j’arrivais automatiquement sur le centre de relation client de Marseille, même s’il était saturé », explique Sandrine Beltran.
Cette nouvelle organisation permet désormais au client d’être pris en charge par la première compétence disponible, peu importe sa localisation géographique en France.
2. L’externalisation de l’assistance banque en ligne
Pour répondre aux enjeux de digitalisation accélérés par le confinement, la Banque Postale a externalisé l’assistance à la banque en ligne auprès du prestataire Majorel.
« Nous avions sur ce flux une accessibilité très basse et une prise en charge qui souvent n’apportait pas satisfaction », précise Sandrine Beltran. « C’était des motifs qui, en dehors du classique mot de passe, cachent souvent des problématiques plus complexes au niveau technique, navigateur, device, etc. »
Cette externalisation a permis de confier ces appels techniques à des experts tout en libérant des ressources internes pour se concentrer sur le cœur de métier bancaire.
3. La mobilisation des forces commerciales sur les appels entrants
La troisième victoire rapide a consisté à former les équipes commerciales à la prise en charge des appels entrants. Auparavant, ces équipes se concentraient uniquement sur les campagnes sortantes ou les transferts d’appels entrants.
« Nous avons formé ces commerciaux à la prise en charge d’appels entrants pour qu’en cas de pic d’appel, nous puissions avoir une réserve de collaborateurs afin de maintenir ce niveau d’accessibilité », explique Sandrine Beltran.
Deuxième levier : Innover avec l’intelligence artificielle
Pour aller plus loin dans l’amélioration de l’accessibilité, la Banque Postale a développé Lucy, un callbot issu d’un partenariat avec Zaion. Cette innovation répond particulièrement aux besoins des clients pendant les périodes de versement des prestations sociales.
« Lucy prend en charge les motifs ‘solde de compte’ et ‘opérations en cours et à venir’, c’est-à-dire ‘est-ce que j’ai reçu mon virement CAF, mon virement Pôle Emploi' », détaille Sandrine Beltran. « Nos clients prononcent leur intention en langage naturel et sont automatiquement pris en charge par Lucy si leur demande concerne ces sujets. »
Ce choix du callbot, plutôt qu’un chatbot, s’explique par une volonté d’inclusion : « C’est beaucoup plus inclusif qu’un chatbot puisqu’on n’a pas besoin d’être connecté à un outil de selfcare, notamment pour nos clients qui vivent la fracture numérique. »
Les résultats sont impressionnants : en un an, Lucy a traité 2 millions d’appels et représente chaque mois entre 5 à 8 points de taux de décroché.
Un point essentiel de cette innovation est la complémentarité entre l’IA et l’humain : « En tant que banque citoyenne, c’était important pour nous de mettre l’humain et nos conseillers en valorisation. Lucy prend des appels à faible enjeu, ce qui permet à nos équipes de se concentrer sur des appels à plus fort enjeu relationnel, commercial ou émotionnel. »
Le système est conçu pour éviter de piéger le client dans une boucle sans fin : si après deux tentatives Lucy ne comprend pas l’intention du client, l’appel est automatiquement transféré à un conseiller qui reçoit le contexte de l’échange.
Troisième levier : Optimiser la prévision et la planification
Pour anticiper les flux d’appels et mieux y répondre, la Banque Postale a investi dans un outil de workforce management. « On a investi très tôt dans notre trajectoire sur un outil de workforce management pour nous permettre d’améliorer toute la chaîne d’hypervision », indique Sandrine Beltran.
Cette solution optimise trois aspects essentiels :
- La prévision des flux d’appels
- La planification des ressources humaines
- Le pilotage en temps réel
En complément, l’entreprise a créé une « Vigi » en central qui, sur le mode d’une tour de contrôle, s’assure tout au long de la journée de la bonne adéquation entre les ressources et les flux reçus.
Quatrième levier : Repenser l’organisation pour personnaliser la relation
Pour améliorer la personnalisation de la relation client, la Banque Postale a procédé à une refonte complète de son organisation.
« Nous avions une organisation un peu classique avec un service client qui recevait l’ensemble des flux », explique Sandrine Beltran. « Ce service client routait les flux soit au middle pour le crédit, les successions, soit à nos commerciaux. Dans notre organisation, nous avions systématiquement des ruptures d’acteurs avec des transferts d’appel. »
Cette organisation généraliste ne permettait pas d’atteindre un bon taux de résolution au premier contact. La transformation a consisté à créer une nouvelle structure basée sur des compétences spécialisées :
- La mutualisation des services clients et commerciaux au sein d’équipes uniques, renforçant la solidarité dans la gestion des pics d’appels
- Le déploiement d’une organisation par compétence avec :
- Des compétences « fragiles » pour les clients en difficulté
- Des compétences « patrimoniales » pour les clients ayant des profils financiers supérieurs
- Des compétences commerciales (assurance, crédit à la consommation)
- Des compétences fidélisation orientées vers l’anti-churn
« En fonction du profil client ou du motif d’appel formulé en langage naturel, nous envoyons directement l’appel sur la bonne compétence, c’est-à-dire celle qui a le périmètre le plus susceptible de répondre à la demande du client », précise Sandrine Beltran.
Cette organisation permet d’adapter non seulement les aspects techniques (périmètres d’intervention, seuils opérationnels), mais aussi la posture relationnelle : « On ne prend pas en charge, en termes de vocabulaire, d’empathie, de la même façon un client fragile qu’un client patrimonial. »
La mise en place de cette nouvelle organisation a impliqué un important travail d’accompagnement :
- Une phase de recueil des souhaits où chaque collaborateur s’est positionné sur une compétence majeure et une compétence mineure en fonction de ses appétences
- Un programme de formation et de professionnalisation spécifique à chaque compétence, développé avec les équipes terrain
- L’établissement d’un socle commun de compétences permettant à tous les collaborateurs de se mobiliser sur les appels de base en cas de pic d’activité
Cinquième levier : Développer une culture client d’excellence
Le dernier niveau de transformation, encore en cours, concerne la gestion des émotions et le développement d’une culture client forte.
« L’aspect émotion généralisé à l’ensemble reste encore une étape à franchir », reconnaît Sandrine Beltran. « On a des conseillers qui y arrivent, mais c’est plus des cas individuels qu’une véritable signature relationnelle globale qui permet une prise en charge uniforme. »
Pour avancer sur ce chantier, la Banque Postale a mis en place plusieurs initiatives :
Le challenge « Les étoiles de la relation client »
« Chaque mois, les sites nous remontent leurs meilleurs appels et nous distinguons quatre appels sur chacune de nos catégories clés : la personnalisation, l’émotion, le rebond commercial et l’appel sortant », explique Sandrine Beltran.
Ces appels sont écoutés à chaque niveau de l’organisation, du site à la direction de la relation client au siège. À la fin de l’année, tous les lauréats concourent pour le prix du COMEX, qui est décerné lors de la convention annuelle.
Cette initiative permet non seulement de valoriser les meilleures pratiques, mais aussi d’ancrer l’écoute et le débriefing d’appels dans le quotidien des managers.
Une grille d’évaluation structurée
Pour accompagner cette démarche, une grille d’appel a été développée, identifiant les séquences clés et les éléments de la signature relationnelle de la Banque Postale.
« La culture client, c’est comme une plante, ce n’est pas parce que tu tires dessus qu’elle va grandir plus vite », souligne Sandrine Beltran. « Ça prend du temps, et on est encore dans cette phase de formation et de montée en compétence de nos équipes. »
Les résultats de la transformation : des progrès significatifs
Après trois ans de transformation, les résultats sont au rendez-vous :
- Amélioration de l’accessibilité : « On a gagné 17 points sur notre accessibilité »
- Réduction du temps d’attente : « On a divisé le temps d’attente client par deux »
- Hausse de la satisfaction : « On a gagné 10 points de NPS en un an »
- Amélioration des performances commerciales : « Nous commençons à avoir de bons indicateurs aussi sur la part vente »
Ces résultats positifs placent la Banque Postale sur la bonne trajectoire pour atteindre son objectif à cinq ans : rejoindre le podium de la relation client dans le secteur bancaire.
Les clés du succès : un projet collectif porté au plus haut niveau
Plusieurs facteurs ont contribué à la réussite de cette transformation :
1. Un soutien de la direction générale
« Le gros avantage dans ce programme de transformation, c’est que la volonté venait d’en haut », explique Sandrine Beltran. « Dans le plan stratégique, la Banque Postale veut devenir la banque préférée des Français et donc l’impulsion de ce changement a été énormément facilitée parce que c’était une impulsion de la direction générale. »
2. Une communication directe avec tous les collaborateurs
Pour donner du sens à la transformation, Sandrine Beltran a fait le choix d’aller directement à la rencontre des 2500 collaborateurs répartis sur les 17 sites : « Par petits groupes de 15 à 30 personnes, j’ai rencontré l’ensemble des collaborateurs présents. C’était assez sportif, j’ai fait un peu le tour de France, mais en même temps c’était extrêmement bénéfique. »
Cette démarche a permis d’expliquer les changements, de répondre aux inquiétudes et de montrer que ce n’était pas un projet déconnecté des réalités du terrain.
3. Une communication régulière sur l’avancement du projet
Pour maintenir la dynamique, une newsletter mensuelle a été créée : « L’écho front permet tous les mois de donner une actualité sur le programme de transformation, mais aussi sur ce qui se fait sur les sites. C’est important que les sites prennent la parole sur comment eux ont mis en œuvre cette transformation. »
4. Une approche de co-construction
Plutôt que d’imposer des solutions toutes faites, l’équipe de transformation a impliqué les collaborateurs dans la création des nouveaux processus et outils : « Cette co-construction a permis d’associer les collaborateurs, qu’il s’agisse des managers, des conseillers ou des responsables de professionnalisation. »
5. Un accompagnement constant
À chaque nouvelle étape, l’équipe de transformation s’est déplacée sur site pour accompagner les équipes, créant ainsi une proximité essentielle entre le siège et le terrain.
Conclusion : une transformation qui continue
Si la Banque Postale a déjà accompli des progrès remarquables en trois ans, Sandrine Beltran rappelle que la transformation est un processus continu, en particulier sur le volet de la culture client : « L’objectif est clair : dans cinq ans, la Banque Postale sera sur le podium de la relation client dans le secteur bancaire. »
Cette ambition illustre un changement profond dans le secteur bancaire, comme le souligne Sandrine Beltran : « Les clients aujourd’hui n’hésitent pas à quitter leur banque pour aller obtenir une meilleure qualité de service client. »
Face à cette réalité, la Banque Postale a choisi non seulement de s’adapter, mais de viser l’excellence en matière de relation client. Une transformation qui mérite d’être suivie de près par tous les professionnels de l’expérience client.
Marine Deck, experte relation client et expérience client, animatrice du podcast Le Client et fondatrice de Cx Advisor, souligne l’exemplarité de cette démarche qui pourrait inspirer de nombreuses autres entreprises, bien au-delà du secteur bancaire.
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