Épisode 37 - Vincent Chabault

Le Futur du Magasin : 6 Révélations d'un Sociologue de la Consommation

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Dans ce nouvel épisode du podcast « Le Client », Marine Deck, experte relation client et conférencière en expérience client, animatrice du podcast et fondatrice de Cx Advisor, a interviewé Vincent Chabault, sociologue enseignant-chercheur à l’Université de Paris et auteur du livre « L’éloge du magasin » paru aux éditions Gallimard. Marine Deck, leader d’opinion numéro un sur LinkedIn sur la thématique de l’expérience client en France, nous fait découvrir une analyse approfondie des comportements des consommateurs et de l’avenir du commerce physique.

Alors que le e-commerce représente entre 13% et 35% du commerce de détail selon les pays, le magasin physique reste le principal lieu d’approvisionnement des consommateurs. Vincent Chabault nous invite à comprendre les raisons profondes de cette résistance, et à explorer ce qui se joue véritablement dans ces espaces commerciaux au-delà de la simple transaction marchande.

Révélation #1 : Les trois révolutions commerciales

Vincent Chabault nous explique que l’histoire du commerce s’articule autour de trois grandes révolutions :

  1. La séduction marchande avec les grands magasins à la fin du 19e siècle : L’émergence des grands magasins comme le Bon Marché a transformé l’acte d’achat en une expérience spectaculaire. Ces établissements ont mis en place des décors, une architecture spectaculaire et ont fait émerger la séduction marchande.

« C’est le rapport à la marchandise qui change, c’est pour ça que l’on parle de révolution ou de première révolution commerciale pour ce commerce moderne, c’est celle qui a intéressé Émile Zola dans ‘Le Bonheur des Dames’. »

  1. La grande distribution avec l’essor du libre-service : Apparue avec les innovations comme le libre-service (1930 aux États-Unis), le chariot, le supermarché puis l’hypermarché (1963 en France), cette révolution repose sur le discount et l’accessibilité des produits au plus grand nombre.

« Pendant on va dire 40 à 50 ans, la grande distribution a joué ce rôle de rendre accessible des biens à tous, en tout cas à une société assez large : à la fois des produits, le confort également, l’équipement et puis également des standards, des repères communs. »

  1. Le e-commerce et la plateformisation du commerce : La dernière évolution est celle du digital, avec l’émergence des plateformes et des intermédiaires de marché comme les smartphones, les applications et les algorithmes.

Face à cette dernière évolution, la question de l’avenir du magasin physique se pose, mais Vincent Chabault reste optimiste sur sa pérennité.

Révélation #2 : Le magasin, bien plus qu’un lieu d’approvisionnement

L’une des idées maîtresses de l’ouvrage de Vincent Chabault est que le magasin physique a de multiples fonctions qui vont bien au-delà de la simple distribution de produits :

  • Un lieu d’exposition et de découverte : « Il est un lieu d’exposition, un lieu de découverte de produits bien entendu, un lieu d’acculturation par rapport à des styles de vie auxquels on adhère. »

  • Un lieu de conseil et d’expertise : « Un magasin, c’est aussi un lieu de conseil, d’expertise. On voit à quel point pendant les confinements, les librairies indépendantes, les libraires indépendants ont été à la tête de file de la résistance à ce commerce de plateforme. »

  • Un repère géographique et symbolique : « Ce sont des repères géographiques mais également des repères très importants symboliques dans la vie des individus. »

  • Un lieu qui structure des émotions et des souvenirs : « Même pour les hypermarchés, l’écrivaine Annie Ernaux a consacré un livre à son hypermarché Auchan par exemple, un lieu où se structurent des émotions, des souvenirs. »

Cette dimension sociale et émotionnelle du magasin explique pourquoi, malgré l’essor du e-commerce, les consommateurs continuent de fréquenter les points de vente physiques.

Révélation #3 : De la consommation d’approvisionnement à la consommation émotionnelle

Un autre point crucial abordé par Vincent Chabault est l’évolution des comportements d’achat :

« Après cette maturité du modèle de la grande distribution, on a commencé à réfléchir justement à l’expérience client et à d’autres logiques et à d’autres raisons qui expliquaient la venue en magasin. »

Cette transition de la consommation d’approvisionnement (focalisée sur l’achat de biens nécessaires) à la consommation émotionnelle (centrée sur l’expérience et les sentiments associés à l’achat) s’explique notamment par :

  • La saturation du modèle de la grande distribution
  • L’émergence de nouveaux besoins au-delà du simple approvisionnement
  • La recherche d’expériences et d’émotions lors de l’acte d’achat

Ce changement de paradigme a poussé les enseignes à repenser leur approche, comme l’illustre l’exemple des hypermarchés qui réintroduisent des métiers (poissonniers, bouchers, artisans) et remettent de la vente socialisée après avoir bâti leur succès sur le libre-service.

« On est à la fois dans du libre-service, de la vente socialisée et de l’équipement numérique. »

Révélation #4 : Le consommateur, ni libre ni manipulé mais informé

Vincent Chabault propose une vision nuancée du consommateur moderne :

« L’une des leçons à retenir, c’est que la crise a fait accélérer, c’est que finalement le consommateur, pour moi, il est ni libre ni manipulé, il est avant tout de plus en plus informé, de plus en plus équipé pour prendre ses décisions. »

Cette information et cet équipement du consommateur proviennent de multiples sources :

  • Son histoire et son revenu : « Il est équipé évidemment par son histoire, par son revenu, premier point. »
  • Ses ressources culturelles : « Il est équipé également par ses ressources culturelles, par son niveau d’étude, par son réseau, son éducation. »
  • Les outils digitaux : « Il est équipé également de plus en plus par des outils digitaux, des applications Yuka et cetera qui jouent de plus en plus un rôle, par Instagram également, un rôle dans la médiation marchande. »

Cette nouvelle posture du consommateur, à la fois autonome mais influencé par de multiples facteurs, complexifie le travail des marques et des distributeurs qui doivent désormais proposer une expérience cohérente à travers tous les canaux.

Révélation #5 : L’impact de la crise sanitaire sur le commerce

La pandémie de COVID-19 a profondément impacté le secteur du commerce, mais selon Vincent Chabault, elle a principalement accéléré des tendances déjà existantes plutôt que créé de nouvelles dynamiques :

« Si on reprend, quels que soient les pays, la transition commerciale durant le confinement, on voit à quel point rien n’est apparu de neuf véritablement, mais plutôt ce sont des tendances qui se sont accélérées et que la crise sanitaire a accélérées. »

Parmi ces accélérations, on peut noter :

  • L’hybridation des canaux de vente : « Aujourd’hui, le magasin connecté, quelle que soit sa taille, est devenu la norme. Ça c’est évident, même pour des cas auxquels on ne pense pas forcément, le marché du dimanche, les marchés de plein vent comme on dit. »

  • La digitalisation du commerce de proximité : « Une rôtisserie avoir un compte Instagram par exemple, donc on voit à quel point le digital, les techniques digitales, les techniques numériques, eh bien leur diffusion s’est accélérée pour le magasin physique, quelle que soit sa taille. »

  • L’adaptation des librairies indépendantes : « Même pour les librairies qui, on suspectait être un peu réticentes ou résistantes au changement technologique, on voit à quel point aujourd’hui elles offrent une série de services numériques pour la commande, la réservation en boutique, la livraison, etc. »

Cette évolution vers un commerce phygital (physique + digital) semble désormais irréversible et concerne tous les formats de magasins, des plus petits aux plus grands.

Révélation #6 : Les contradictions du consommateur moderne

L’un des aspects les plus fascinants abordés par Vincent Chabault est la nature profondément contradictoire du consommateur contemporain :

« Moi, je trouve que, au final, les consommateurs nous font, en tant que commerçants, nous font un peu tourner en bourrique, c’est-à-dire que tout ça, c’est cyclique. Pendant un temps, on voulait des choses très rapides, et du coup, il y a ces points de vente qui se sont développés. Maintenant, on reveut du conseil, on reveut de la relation humaine. »

Ces contradictions se manifestent à plusieurs niveaux :

  • Entre discours et comportements : « Il y a un écart évidemment entre les belles déclarations environnementales et cetera, les convictions et la réalité. »

  • Entre désir de simplicité et quête statutaire : « Malgré des belles déclarations, les désirs de consommation, les désirs statutaires, la quête de standing, l’obsession du standing passe avant nos convictions, ça c’est évident. »

  • Entre conscience écologique et pratiques de consommation : « Vous avez toujours les mêmes sondages qui vous disent que 50% des Français veulent mieux consommer et 30% veulent moins acheter, moins consommer. Évidemment, les temps forts de la société de consommation que sont par exemple le Black Friday, les achats de Noël, la Saint-Valentin et cetera nous montrent à quel point il y a un écart très fort. »

Cette ambivalence représente un défi majeur pour les marques qui doivent naviguer entre ces contradictions pour proposer une offre pertinente.

Le rôle économique et social des enseignes

Au-delà de leur fonction commerciale, Vincent Chabault souligne que les enseignes peuvent également jouer un rôle social et culturel important, comme l’illustre l’exemple de la FNAC :

« La FNAC n’est pas seulement un distributeur. Son histoire, qui est une histoire longue – la FNAC a été créée en 1954 avec une forte dimension consumériste – c’est-à-dire que la FNAC, elle a apporté la technologie dans les foyers : la photo, les biens électroménagers, les appareils d’enregistrement et cetera, avant le livre, avant les ordinateurs. »

Cette dimension sociale des enseignes est particulièrement importante aujourd’hui, à l’heure où les consommateurs, notamment les plus jeunes, sont de plus en plus attentifs aux engagements et aux valeurs portés par les marques :

« Aujourd’hui, le consommateur achète et consomme chez une marque aussi pour les valeurs qu’elle porte et pour les engagements qu’elle a. »

Vers un avenir phygital du commerce

Pour conclure, Vincent Chabault présente sa vision de l’avenir du commerce, caractérisée par une intégration toujours plus poussée entre physique et digital :

  1. L’importance persistante du magasin physique : Malgré l’essor du e-commerce, le magasin physique continuera de jouer un rôle central, mais ses fonctions évolueront vers plus d’expérience, de conseil et de découverte.

  2. Le rôle croissant des vendeurs et conseillers : « Pour moi, le vendeur, la vendeuse, le libraire, le caviste également exerce toujours encore, en complément du numérique – pour moi, il n’y a pas forcément d’opposition – un rôle, une autorité symbolique. »

  3. L’hybridation des formats commerciaux : L’avenir n’est ni tout physique, ni tout digital, mais dans une combinaison intelligente des deux, comme l’illustre l’exemple de la librairie d’occasion de l’Avenue au Puces de Saint-Ouen, « une caverne d’Ali Baba pour les lecteurs » qui réalise aujourd’hui 50% de son chiffre d’affaires en ligne.

  4. La personnalisation de l’expérience : Les outils digitaux permettront une personnalisation toujours plus poussée de l’expérience client, tout en préservant la dimension humaine et relationnelle.

« Le maintien dans la transition numérique, le maintien d’une forme de commerce de détail historique et traditionnel et, en même temps, des dispositifs marchands qui reposent sur la révolution numérique. »

Conclusion

L’analyse de Vincent Chabault nous offre une perspective riche et nuancée sur l’avenir du commerce et les comportements des consommateurs. Loin des discours simplistes annonçant la mort du magasin physique, le sociologue nous invite à comprendre la complexité des motivations qui poussent les consommateurs à fréquenter différents types de points de vente.

Le futur du commerce ne se joue pas dans une opposition entre physique et digital, mais dans leur complémentarité intelligente. Les enseignes qui sauront combiner l’efficacité du numérique avec la richesse émotionnelle et sociale de l’expérience en magasin seront celles qui réussiront dans ce nouvel écosystème commercial.

Pour les professionnels du marketing et de la relation client, l’enjeu est désormais de concevoir des parcours client fluides et cohérents, qui tiennent compte de l’ensemble des dimensions de l’acte d’achat : pratique, émotionnelle, sociale et symbolique.

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