Épisode 12 - Alexis Lafont

Comment Caulaincourt Réinvente l'Expérience Client dans le Luxe Artisanal

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Dans un monde où l’e-commerce standardisé et la livraison express dominent les habitudes de consommation, certains créateurs parviennent à maintenir une expérience client authentique et profondément humaine. C’est le cas d’Alexis Lafont, fondateur de Caulaincourt, maison française de souliers d’exception. Dans un entretien avec Marine Deck, experte relation client et expérience client, animatrice du podcast Le Client et Fondatrice de Cx Advisor, il dévoile sa vision singulière de l’expérience client dans l’univers du luxe artisanal.

La fusion de deux hémisphères : créativité et business

Alexis Lafont se définit comme « une espèce d’hybridation entre une volonté d’exprimer une créativité et l’autre hémisphère qui va être plus pragmatique, plus business ». Son parcours illustre parfaitement cette dualité : d’un côté, une pratique précoce du dessin et de la sculpture, puis de la photographie; de l’autre, un parcours académique « très classique » avec prépa, école de commerce et l’équivalent d’un PhD.

Cette double compétence lui permet d’appréhender l’expérience client sous un angle unique, où l’exigence esthétique se conjugue avec une vision business pragmatique. « C’est parfois un problème parce qu’il faut arriver à vraiment compartimenter les choses », reconnaît-il, mais c’est aussi ce qui fait la singularité de sa marque.

Caulaincourt : élégance, personnalisation et service

Fondée il y a une quinzaine d’années, Caulaincourt est née d’une réflexion profonde suite à un événement personnel marquant dans la vie d’Alexis Lafont. Sa vision : créer une maison de souliers française qui apporte « une vraie singularité au niveau du produit, au niveau du design ».

La marque se distingue particulièrement par son approche de la personnalisation, proposée à différents niveaux :

  1. Le ready-to-wear : des souliers prêts à porter
  2. La patine : un service artisanal qui consiste à teindre le cuir pour obtenir la couleur exacte souhaitée
  3. Le made-to-order (MTO) : la fabrication à l’unité d’une paire selon les spécifications précises du client

« On est une des très rares maisons à proposer un service comme ça auJhourd’hui sur le marché mondial, » affirme Alexis Lafont. « Je pense qu’il y a peut-être entre 5 et 10 maisons dans le monde qui proposent un service comme ça. »

Au-delà de cette personnalisation poussée, Caulaincourt se distingue par son expertise, sa passion, sa qualité exceptionnelle et son confort. La marque propose une large gamme de produits, de l’espadrille à la botte d’hiver, en passant par les souliers habillés et les baskets, tous imprégnés de l’ADN de la maison.

La « vérité d’un lieu » au cœur de l’expérience en boutique

Pour Alexis Lafont, l’expérience client commence avant même le premier contact humain, par ce qu’il appelle « la vérité d’un lieu ». « Je pense que quelqu’un qui rentre chez nous, il est tout de suite capté par la vérité d’un lieu, » explique-t-il.

Cette vérité se manifeste à travers plusieurs dimensions sensorielles :

  • La dimension visuelle : des souliers exposés avec soin dans des écrans
  • L’authenticité du cadre : des magasins qui se « patinent avec le temps », avec des traces de teinture sur la moquette et des assises qui ont « vécu »
  • La transparence du processus artisanal : les artisans travaillent à la vue des clients
  • Les odeurs : « chez nous on utilise des cires, on utilise des crèmes, il y a l’odeur du cuir »

Contrairement à de nombreuses marques qui cherchent à présenter un environnement immaculé, Caulaincourt assume cette patine authentique qui témoigne du travail artisanal qui s’y déroule. « On était vraiment parmi les premiers à le faire, » note Alexis Lafont, évoquant la tendance ultérieure des « cuisines ouvertes » qui ont démocratisé cette approche.

L’artisan-vendeur : l’unicité du modèle Caulaincourt

La particularité la plus marquante de l’expérience client chez Caulaincourt réside peut-être dans son modèle d’artisan-vendeur. « La personne qui s’occupe de toi, c’est-à-dire qui t’accueille, qui va te parler du produit, qui va te chausser, est aussi et c’est fondamental, la personne qui va réaliser la patine sur tes souliers, » explique Alexis Lafont.

Cette approche présente plusieurs avantages considérables :

  1. Authenticité de la relation : le client est face à un expert, pas à quelqu’un qui « récite un discours de vente tout fait »
  2. Gratification de l’artisan : le vendeur qui fait aussi la patine « va récupérer les lauriers qui vont avec la vente », créant un cercle vertueux d’engagement
  3. Passion communicative : « le gars que tu as en face de toi quand tu viens chez Caulaincourt, il est beaucoup plus vivant, beaucoup plus animé »

Cette symbiose entre l’artisanat et la vente nécessite un temps de formation considérable : « pour faire des patines chez nous chez Caulaincourt qui vont être livrées à un client pour de vrai, il faut au minimum un an d’expérience. »

Remettre l’humain au centre dans un monde déshumanisé

Dans un univers du retail de plus en plus standardisé, Alexis Lafont défend une approche résolument à contre-courant : « On vit dans un monde qui est complètement aseptisé, il y a plus d’odeur, il y a plus de goût, il y a plus rien. »

Pour lui, l’obsession contemporaine de tout rationaliser conduit paradoxalement à une perte de substance : « On peut se masturber très longtemps intellectuellement sur l’expérience client, mais en fait souvent à chercher systématiquement à tout rationaliser, on déshumanise. Et quand tu déshumanises sur un produit qui n’est pas un truc digital ou un objet technologique, à un moment donné tu perds la substance. »

Cette conviction l’amène à privilégier l’authenticité et la passion dans la relation client, quitte à aller à l’encontre des tendances dominantes du marketing et de la vente : « On essaie de faire l’inverse en remettant la passion et le plaisir au centre de la relation client. »

L’inclusivité paradoxale du luxe chez Caulaincourt

Malgré son positionnement haut de gamme et son expertise pointue, Caulaincourt cultive paradoxalement une forme d’inclusivité rare dans l’univers du luxe. « On est une maison experte de soulier, en revanche je pense qu’il y a une chose qu’on a réussie, c’est qu’on n’est pas enfermant, on n’est pas segmentant, » affirme Alexis Lafont.

Cette inclusivité se traduit par une attitude égale envers tous les clients : « Quelqu’un qui n’y connaîtrait rien au soulier, s’il rentre chez nous et qui dit ‘Waouh c’est beau, c’est cool, ça sent bon, qu’est-ce que vous faites ?’, on va le traiter, on va s’intéresser à lui exactement comme si c’était quelqu’un qui avait une collection de 300 paires de soulier sur mesure chez lui. »

Cette approche non-élitiste dans un secteur traditionnellement exclusif constitue une véritable innovation en matière d’expérience client dans le luxe.

Le digital : transposer l’expérience physique en ligne

Face au Covid-19 et à la montée en puissance du e-commerce, Caulaincourt a dû relever un défi majeur : comment transmettre cette expérience sensorielle et humaine à travers un écran ?

« C’est vachement complexe d’essayer de transférer ça sur le digital, » reconnaît Alexis Lafont. « Notre différence, notre singularité, c’est cette rugosité, cette texture de la marque, et donc comment arriver à la transmettre via un écran ? Bah c’est pas facile. »

Pour relever ce défi, Caulaincourt a développé plusieurs initiatives innovantes :

  1. Des tutos authentiques : « On s’est mis à fabriquer des petites séries de vidéos qu’on a diffusé sur YouTube et sur Instagram avec des tutos, mais des vrais tutos : comment cirer ses chaussures, comment faire si, comment faire ça… sauf que c’était pas des tutos institutionnels complètement lisses. »

  2. Des vidéos produits personnalisées : « C’est moi qui vais prendre le relais, et je vais prendre un produit et je vais essayer de faire une vidéo synthétique dessus, mais dans laquelle je vais expliquer pourquoi je l’ai fait, pourquoi je l’ai pensé, pourquoi je l’ai sorti, pourquoi son prix c’est ça, comment il est fabriqué. »

Ces initiatives ont rencontré un succès considérable : « On a été enseveli de messages d’encouragement, les gens ont dit ‘mais c’est génial vos tutos, c’est trop bien la façon avec laquelle vous mettez de l’humour dedans dans ce contexte-là’. On avait des tas de commentaires, les gens disaient ‘c’est super, on a l’impression d’être en boutique avec vous’. »

L’après-vente : un engagement sur toute la vie du produit

L’expérience client chez Caulaincourt ne s’arrête pas à l’achat. La marque s’engage à accompagner le client tout au long de la vie du produit :

« Si jamais dans un mois, parce que ta copine finalement aime pas du tout les chaussures vertes, tu as envie de changer la couleur, ou que tu as juste envie de faire évoluer un petit peu la couleur […] en fait nous on va prendre en charge tout ce travail-là. C’est qu’on suit le client sur toute la vie du Soulier. »

Cette approche s’étend même à la rénovation de souliers anciens : « On a pas mal de clients qui nous rapportent des chaussures qui ont 5, 6, 10 ans, qui sont fatiguées, et là c’est un peu miraculeux parce qu’ils récupèrent leurs souliers 10 Jours après, pas neufs mais quasiment. »

Cette relation de long terme crée un cercle vertueux où le plaisir est partagé : « C’est comme tout dans la vie, je pense, c’est en tout cas j’ai envie de le penser, c’est que ce sont des petits cercles vertueux comme ça […] et je pense que ça s’appelle le plaisir, slash un gros mot à savoir le bonheur. »

La gestion des problèmes : une opportunité de démontrer sa différence

Pour Alexis Lafont, la vraie différence en matière d’expérience client se fait dans la gestion des problèmes. Sa règle d’or : « Jamais on dit au client que c’est de sa faute, jamais vous cherchez à faire quoi que ce soit pour vous débarrasser du problème. »

Cette approche va à l’encontre des pratiques courantes qu’il observe dans l’industrie : « Tous les Jours, il y a pas un Jour qui passe sans qu’un client nous raconte une anecdote : ‘J’étais chez une grande maison, j’ai acheté une chaussure très chère, il s’est passé ça et on m’a envoyé chier en me disant c’est de votre faute.' »

Sa philosophie est claire : « Le problème, c’est pas qu’il y a un problème, le problème c’est si on ne résout pas le problème. » Cette approche n’est pas que altruiste, elle est aussi stratégiquement intelligente : « Un problème, c’est l’occasion de transformer un client qui aurait pu être fidèle en client ultra fidèle, parce que s’il y a un problème, c’est une opportunité d’apporter une différence de traitement par rapport à ce qu’aurait fait d’autres maisons. »

Les défis de l’ère Amazon et la civilisation de l’immédiateté

L’un des plus grands défis auxquels fait face Caulaincourt est ce qu’Alexis Lafont appelle « l’effet Amazon » : « Tu es dans ton lit à 2h du matin, tu cliques, à 8h du matin le livreur il est devant ta porte. […] Le problème c’est que c’est en train de faire scaler complètement les exigences des clients sur le digital. »

Cette accélération des attentes se heurte à la réalité d’un travail artisanal qui prend nécessairement du temps : « Entre 2 et 3 semaines avant de pouvoir livrer le client, ce qui, étant donné le travail, est plutôt une belle performance. » La patine d’une paire de souliers peut prendre entre 1h30 et 3h en moyenne, et jusqu’à 12h pour les plus complexes.

Pour gérer ce décalage entre les attentes contemporaines et la réalité artisanale, Caulaincourt mise sur la pédagogie : « On va retourner dans leur salon, dans leur chambre à coucher, aux toilettes avec eux, dans leur téléphone, et leur expliquer les yeux dans les yeux ce qui se passe chez nous. »

Conclusion : la vérité plutôt que le marketing

En filigrane de toute la philosophie d’expérience client de Caulaincourt se dessine un crédo simple : plus de vérité, moins de marketing. Pour Alexis Lafont, l’industrie du luxe souffre souvent d’un excès de marketing déconnecté de la réalité : « Quand je vois ce que certaines marques, et quand je dis certaines c’est une maJorité, racontent et vendent, mais la plupart disent n’importe quoi, mais vraiment n’importe quoi. »

À l’inverse, Caulaincourt choisit une approche basée sur l’authenticité et la transparence : « On essaie de prendre les gens par la main, de leur expliquer les choses, et de leur transmettre ce qu’on fait et pourquoi on le fait comme ça. »

Cette philosophie se résume finalement à une idée simple mais puissante : créer une expérience où le client est « heureux de dépenser son argent. » Comme le dit Alexis Lafont : « Quand on dépense son argent en étant heureux de le faire, honnêtement, ça fait quand même partie des plaisirs importants, parce qu’on dépense tellement d’argent sans que ça nous fasse plaisir. »

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